« Lorsque Dieu a créé le lapin, s’attendait-il à ce qu’on le retrouve si nombreux, de nos jours, à Aulnay-sous-Bois ? » 
Ainsi commence, avec un sourire en coin, le nouveau récit de Jean Rolin qui a cette fois tenté l’aventure aux franges entre urbanisation et campagne franciliennes. Plus que d’une éventuelle erreur de Sa Sainte Planification quant à la démographie lapine, c’est de l’impact des hommes sur ce paysage qu’il est question ici, et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne prête guère à sourire. Décharges sauvages, champs de monoculture, verger abandonné, zones d’activités et friches industrielles polluées, terres retournées pour les rendre impraticables à toute installation nomade, terrains pelés des aérodromes, infrastructures de la DGSE et de divers usages militaires et lot "d'activités illicites de basse intensité" propre à toutes les zones reléguées... ​​​
À l'exception notable de la plaine de Saclay, propice aux observations ornithologiques et papillonesques - l'auteur s'émeut, et on l'envie un peu, d'un compagnonnage d'une minute avec une vanesse vulcain, un papillon qui se pose sur le 4e bouton de sa chemise (l'on notera au passage que l'auteur randonne donc en chemise) - la végétation y semble en retrait par rapport aux zones libres des berges de Seine arpentées dans Le Pont de Bezons - plus morne, plus contrainte, moins vivante.
De loin en loin, quelques illuminations, telles ces jardins cachés dans des replis du terrain longeant une autoroute, ce patron de sandwicherie qui affiche « Si tu es étudiant(e), chômeur ou vraiment dans le besoin, entre, ton sandwich est pour moi » et raconte son parcours de la Turquie jusqu’en France , ou encore la toponymie dont s’amuse l’auteur, tel ce « bois du cul des anges » proche de Frépillon ou ces « sentier des tournants petits choux » et « chemin des trépassés » proches de Chanteloup-les-Vignes, secteur où l’auteur s’adonne avec une joie enfantine au lancer de caillou sur flaque de glace ou au chapardage de courge.
Nouveauté notable, Rolin souvent pris pour un policier en repérages, tant ses passages répétés dans des territoires improbables semblent louches, est ici pris pour le gardien d’une barrière, un éclaireur zadiste ou un "inspecteur de confinement", ce qui n'est pas gage de plus de tranquillité.
Se gardant de toute considération sociologique, le récit que livre Jean Rolin est d’une telle précision  d’observation qu’il fait surgir, tel un synopsis de film, le décor d’une « France des marges » très étudiée ces dernières années mais dont le fonctionnement urbain semble toujours échapper à tout bon sens.
Parution le 18 août 2022, ed. P.O.L

Mon projet Le Pont de Bezons - sur les traces de Jean Rolin,  exercice d’admiration photographique pour le travail de l'écrivain, est exposé en huit épisodes (un accrochage par semaine) du lundi 4 juillet au mercredi 31 août 2022 chez Monique et Myrtille, 83 rue Orfila, Paris 20e. 

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