La galerie Ísland accueille à partir du 24 novembre 2023 le second volet de mes photos réalisées au plus près de la bouillonnante scène musicale islandaise. 
Venez découvrir le continent derrière Björk, Ásgeir et Sigur Rós.
67 rue du Mur // 29600 Morlaix
Entrée libre du vendredi au lundi de 14h à 19h.

Lúpína

Celebs

Comment un pays de moins de 350 000 habitants peut-il engendrer une telle profusion de musicien·ne·s - 120 groupes locaux rien que pour l’édition 2022 du festival Icelandic Airwaves, sans compter la programmation off croisée au coin d’un bar ou au détour d’une librairie ?
Certes, on retrouve certains musicien·ne·s dans plusieurs groupes, souvent de registres très différents d’ailleurs, mais quand-même…
Longues nuits d’hiver, sans doute, ennui de la vie loin de l’agglomération de Reykjavik, peut-être, mais quand-même…
Interrogé·e·s à ce sujet, mes ami·e·s islandais·es haussèrent les épaules : « la musique est enseignée à l’école aussi sérieusement que les autres matières alors on la pratique naturellement. »  Et toc ! 
Autre étonnement : la diversité des genres représentés. L’influence de la tête chercheuse Björk n’est pas si évidente, celle de l’ovni Sigur Rós encore moins, la scène métal - peut-être un lien avec le  Danemark -  est présente mais pas écrasante. Mais aller à Airwaves et arpenter les rayons des disquaires (pas moins de 7 dans le seul centre de Reykjavik) c’est écouter du punk féminin et féministe (Hórmónar), du rap d’influence Wu-Tang Clan (Cell7), de la musique expérimentale d’influence pop (Ólöf Arnalds) ou classique (Ólafur Arnalds), des héritiers de Simon et Garfunkel (Árstíðir, dont l’un des musiciens joue dans un groupe de métal), d’autres de Radiohead  période lyrique (CeaseTone, dont le chanteur est aussi musicien pour un rappeur, JÓIPÉ), de la pop sautillante ou mélancolique, des jazz très variés, et même du reggae et de la bossanova en islandais !  
Mais tout cela pourrait faire de la mauvaise musique, ou du moins pas terrible, ou pas innovante… sauf que non.  
La scène musicale islandaise est à la fois prolifique, de qualité et audacieuse.  
Il y a bien ça et là des groupes dont il est évidement qu’ils ne sont pas à maturité, quelques artistes qui ne dépareilleraient pas dans le top 50 du mainstream anglo-saxon, mais le niveau général est étonnamment élevé et il n’est pas rare de voir des ados donner un set dans un bar ou un magasin de sport, entre deux portants, avec la conviction qu’on imagine avoir animé le mouvement punk à ses débuts.
Le musée du rock islandais, à l’ouest de Reykjavik, témoigne d’ailleurs d’une histoire largement passée sous les radars de notre presse spécialisée jusqu’aux turbulents Sugarcubes (premier groupe de Björk de 1986 à 1992), et notamment de l’arrivée sur l’ile de la première guitare électrique, pendant la seconde guerre mondiale à la faveur, si l’on peut dire, de la présence militaire britannique puis américaine (l’Islande n’a jamais eu d’armée et la base américaine ne s’est retirée qu’en 2006) ; cette influence britannique (et même plus précisément écossaise, Glasgow étant un autre bastion musical, les deux villes partageant en outre l’amour du foot et de la bière) donnera lieu dans les années 80 à une vague punk aussi brève qu’ébouriffée.
Étant portée naturellement vers la pop rock britannique des années 70 à 90 (génération des Inrocks en somme), Reykjavik est le lieu où je m’aventure sans hésitation sur des territoires éloignés de mes bases.
Le parti pris de ces quelques images est de capter l'énergie, la vibration de ces artistes dont je n'ai sélectionné que les moins connu·e·s en France, la plupart ne tournant pas hors d’Islande, ou seulement en Scandinavie.
Dark Water est la chanson que j’écoute pour accompagner le décollage de l’avion quand je quitte l’Islande. Du rock énergique, énergie décuplée sur scène par un chanteur que rien n’arrête, pas même s’accrocher au plafond d’un bar pour sauter par-dessus les spectateur·trice·s.  Trois garçons qui font beaucoup de bruit, mais du bruit mélodique.
Le groupe n’est guère connu en France, malgré un concert à l’Alhambra en 2017 et (Paris) et à La Laiterie (Strasbourg) en 2019, visiblement restés sans suite. 
Dans la lignée de Simon et Garfunkel, ce quatuor masculin explore tous les registres des polyphonies vocales, parfois a capella, parfois accompagnés de musicien·ne·s classiques, et récemment dans un registre pus rock. 
Très actifs sur les réseaux sociaux, ils proposent régulièrement des captations de leurs répétitions, nouveaux enregistrements, mais aussi de petits concerts improvisés en pleine rue à Reykjavik ou lors de leurs tournées.
L’un des guitaristes joue occasionnellement avec le groupe métal 
Sólstafir.
D’année en année, Hafsteinn Þráinsson, le chanteur de ce groupe que je suis depuis 2016, garde son allure d’adolescent cramponné à sa guitare et de chanteur bondissant… pour du rock mélodique et lyrique aux accents de Half Moon Run (et donc de Radiohead).  Mais le jeune homme trouve le temps pour d’autres projets et en 2022 j’ai eu la surprise de voir apparaitre en fond de scène avec JóiPé, rappeur star en Islande pour son duo avec Króli, et qui n’évite pas tous les clichés du genre. Un curieux attelage, qui semblait les réjouir tous les deux (moi, un peu moins, pour être honnête).
Fondé en 2020 par deux frères et une sœur, Celebs promet de faire bouger les hanches les plus raides et le pari est déjà gagné, à voir le public local fervent qui suit leurs concerts joyeusement chaotiques, avant même la sortie d’un premier album. 
Bien que très jeunes, Valgeir, Keli et Katla avaient déjà une expérience de la scène, comme beaucoup de musicien·ne·s islandais·es très précoces, propulsé·e·s par le concours national "The Music Experiments" : les deux frères avec Rythmatik créé en 2015, et Katla avec son projet solo Between Mountains, deux groupes dans le registre de la « pop Zébulon » dans lequel d’inscrit également Celebs, qui  conclut ses prestations avec moults cotillons, confettis et bains de foule.
ENSÍMI
Dans un paysage sans cesse renouvelé par de très jeunes musicien·ne·s, ENSÍMI, créé en 1996, fait figure de vétéran. Un groupe uniquement masculin (c’est assez rare pour être noté dans un paysage où les musiciennes ont toute leur place), très grunge, très présent sur scène, très bon.
Absents des radars depuis leur dernier album en 2015, ils se sont retrouvés sur scène en 2022 pour un concert qui a fait événement mais n’a pas été suivi, pour autant, d’une reformation du groupe. 
La première fois que j'ai vu ce quatuor en 2017 c'était au Gaukurinn, bar rock phare de Reykjavik, et moi qui avait raté la vague punk londonienne, j'ai cru en la téléportation spatiale et temporelle. Je les ai revus 2 ou 3 fois avec le même plaisir fulgurant.
JFDR est une star en Islande, donc je vais me mettre des gens à dos en disant que c’est le genre de pop qui ne laisse aucune trace en moi. Mais son jeu de scène étudié, voire sophistiqué, donne l’occasion de bonnes photos, ce dont je lui sais gré.
Leur cold wave sombre n’est pas le genre de musique qui tourne en boucle sur mes platines, mais leur présence scénique est assez fascinante… et photogénique.

Là aussi une musique que je goûte peu, mais la prestation scénique du jeune Kaktus Einarsson, également chanteur de Fufanu, emporte l’enthousiasme. Ce garçon a beaucoup d’assurance et occupe l’espace avec brio.
Avec son look de Sade en lamé, Kristin Sesselja a concouru (comme Celebs) pour représenter l’Islande à l’Eurovision 2023, un événement très respecté dans ce pays qui promeut très volontiers la créativité des jeunes artistes. 
Sa pop bien écrite et dansante s’inscrit dans un courant très nourri dans la production islandaise, tel son grinçant Fuckboys  ; pour ma part je préfère sa veine plus mélancolique comme dans Brynjuvarin.
Ce trio de barbus chevelus tatoués, qui porte le nom de son compositeur et chanteur, interprète avec maestria un folk classique et énergique.
Sous le nom de scène de Lúpína,  Nína Solveig Andersen a l’allure d’une, fée aussi inventive dans sa musique que gracieuse dans sa gestuelle. Seule avec sa console, elle est capable de captiver un auditoire avec ses mélodies à la fois pop et étranges, électro et très incarnées.
Elle a sorti son premier album en janvier 2023. 

Mammút
Je ne les ai découverts qu’en 2016, mais le groupe a déjà presque 20 ans. À l’origine, un trio de filles qui a commencé à jouer à 13 ans, puis a recruté un garçon à la seconde guitare et un autre à la batterie. C’est le groupe islandais que j’ai vu le plus sur scène, 11 fois à ce jour. S’ils jouent deux jours de suite, j’y vais, s’ils jouent deux fois dans la même journée, j’y vais. Et je ne sais toujours pas vraiment qualifier leur si puissant attrait, quelque part entre l’hypnose des Doors et la précision des guitares de Radiohead ou Half Moon Run et le bruit sophistiqué de Sonic Youth.
Déjà très bons sur disque, c’est sur scène qu’ils sont les plus impressionnants, comme un gang soudé autour de la très charismatique chanteuse Kata, capable de monter sur scène très enceinte et d’emporter la salle dans la transe dont le groupe a le secret. 

La mine sombre et le tatouage ostentatoire (même en Islande où c’est très commun, la tache noire autour de l’œil du chanteur ne passe pas inaperçu), ce très jeune groupe a visiblement écouté les Clash (dont ils livrent une reprise intense) et les Sex Pistols et propose un rock énervé et légèrement brouillon, qui a néanmoins fait se lever toute la salle du très cosy foyer pour étudiant·e·s de l’université.
Figure majeure de la musique contemporaine (une sorte de Pierre Henry local), Skúli Sverrisson compose des univers sonores très enveloppants, qu’il interprète à la basse et souvent en collaboration avec d’autres musiciens.
Dans un pays où le cloisonnement des genres, des générations et des frontières n’est jamais un obstacle, il a travaillé avec Lou Reed, David Sylvian, Ryuichi Sakamoto ou Blond Red Head.
C’est avec le jeune compositeur d’électro Gudmundur Arnalds que je l’ai vu improviser un set hypnotique (du genre qui fait perdre la notion du temps), au très sympathique Mengi (dont Gudmundur est d’ailleurs l’un des cofondateurs), salle minuscule (20 places tout au plus, on s’assoit sur les marches) à la programmation aventureuse de musique, œuvres vidéo (quelques jours avant j’y ai vu une installation de Ólöf Arnalds, autre Géo Trouvetou à qui on doit notamment un sublime duo avec Björk. (Surrender) et de performances qui échappent à toutes les cases. Mengi est désormais un label qui édite des disques tout aussi singuliers.
Cette sélection exclusivement islandaise écarte de fait des groupes découverts grâce à Airwaves et qui méritent le détour.
Avant tout The Holy, intense quatuor finlandais dont la fièvre et le sérieux sont en descendance directe de Joy Division ; mais aussi les dublinoises Pillow Queens et les brightoniennes de Porridge Radio qui naviguent entre The Breeders et Big Thief ;  le cow-boy crooner militant gay canadien masqué Orville Peck ; l’ange réincarné de Jeff Buckley en Tamino, qui livrait en 2018 l’un de ses premiers concerts ; Mumford and Sons, stars britanniques dont je n’avais jamais entendu parler avant de découvrir qu’ils étaient la tête d’affiche du festival 2017.
Et allez comprendre pourquoi, dans cette programmation pléthorique il n’y a jamais de Français·e·s. Musicien·ne·s lecteurs·trices de ces lignes, postulez !

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